lundi 26 octobre 2009

Chambre avec vue… sur les pelleteuses


Le travail de Joseph B. : extraire les métaux, bois et plastique
des amas de béton. (J. Lemaignen/Cuej)

Joseph B.*, 40 ans, est intérimaire sur le chantier de démolition rue des Eyzies. Signe particulier : il habite juste en face, dans une barre jumelle qui devrait elle aussi bientôt disparaître.

Cinq jours par semaine, Joseph B. fait la poule. Dans le jargon du bâtiment, c’est celui qui picore les morceaux de métal, de bois ou de plastique, dans les monceaux de béton des immeubles démolis. En ce moment, il travaille sur le chantier rue des Eyzies. C’est une poule un peu particulière : il habite de l’autre côté de la rue, dans la copie quasi conforme de la barre qu’il est en train de démolir.


C’est pratique : le midi, il y mange avec sa mère Yvette, chez qui il s’est installé à la mort de son père, vendeur de lavande. "Pourquoi payer deux loyers ?", confie-t-il comme une évidence. Avant, il habitait chez ses sœurs ou ses copines. Avec la petite pension d’Yvette, les 1600 euros qu’il gagne tous les mois ne sont pas de trop pour subvenir à leurs besoins.

Réveils en douceur

Joseph n’a jamais vraiment quitté le Neuhof. Au centre de formation Le Corbusier à Illkirch, il choisit de devenir métallier, avant d’entamer une longue suite de petits boulots, du chinage au balayage en passant par la peinture. Puis il suit une formation pour adultes, devient coffreur et travaille sur les ponts du port du Rhin. Et les missions d’intérim, à l’usine ou sur les chantiers, se sont enchaînées jusqu’à aujourd’hui.
Du coup, il connaît à peu près tout le monde ici. Un atout bien utile : "Quand je vais réveiller mon voisin parce que sa voiture est mal garée et empêche le passage des camions, ça passe, parce qu’on se connaît." Même chose lorsqu'il s’agit de récupérer les plots qu’une voisine a "empruntés" pour maintenir sa parabole.
Quand on lui demande si ça l’attriste de démolir un immeuble qui a toujours fait partie de son paysage, il hausse les épaules : "Ça fait un peu bizarre, mais s’ils reconstruisent ensuite, c’est bien. D’ailleurs il y avait des rats là-dedans, on en croise encore sur le chantier."


L'immeuble où habite Joseph avec sa mère Yvette,
avec vue sur le chantier depuis le salon. (J. Lemaignen/Cuej)

 Le déménagement idéal

A la place, trois îlots de petite hauteur devraient être construits, histoire de casser l’uniformité des barres d’immeubles. Yvette s’y verrait bien un jour, car le bâtiment qu’ils habitent devrait être détruit lui aussi en 2012, à cause de l’amiante. "Si c’est joli et qu’il y a des gens bien, alors oui, pourquoi pas", envisage Joseph. Il croit savoir que les habitants feront une demande commune à la Ville pour se faire reloger là. "On est près de tout ici. Pas besoin de faire des kilomètres pour les commissions", explique-t-il. Le déménagement idéal : un immeuble plus joli, au cœur de ce quartier qu’ils n’ont pas envie de quitter, même si Joseph déplore les pétarades des scooters, les trafics et les descentes de police place de Hautefort, à deux pas d'ici. Mais, comme il le précise, "le Neuhof, c’est une grande famille. J’ai tout ici, mes amis, mes voisins, mes nièces. Si je partais, je m’ennuierais."

* Il souhaite que son nom ne soit pas mentionné.

Vu des gravats : le chantier en images




Voir aussi : une photo du chantier terminé.

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